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Quel effet de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne ?

Le 21 février 2024.

Photo : Dauphin commun à La Tranche sur Mer (Vendée), le 16 février 2024 (Crédit Aurianne Jouvel)

Quels sont les suivis à la côte et en mer des cétacés durant la période de fermeture de pêche ?

Les échouages de petits cétacés recensés sur la côte atlantique représentent le principal indicateur de la mortalité en mer par capture dans un engin de pêche, ainsi que les carcasses vues en mer. Néanmoins, entre les mortalités en mer et les échouages, il y a un décalage dans le temps, tous les dauphins morts ne s’échouent pas et ceux qui s’échouent ne sont pas tous morts du fait de la pêche.

Sur les plages, il est donc important que le suivi des échouages se fasse selon le protocole utilisé les années précédentes afin de pouvoir assurer une comparaison avec les autres mois de l’hiver, ainsi qu’avec les hivers précédents. Ainsi, le Réseau National Echouages et ses 400 correspondants continuent d’intervenir sur l’ensemble des animaux signalés échoués. Des examens externes et/ou internes sont effectués, selon différents niveaux de protocoles, en fonction de l’état des carcasses, leur accessibilité, et le niveau de formation des intervenants.

Depuis le ciel, les suivis CAPECET visent à évaluer l’abondance relative et la distribution de la mégafaune marine au cours de l’hiver par des recensements aériens. En 2020 puis 2023, une zone s’étendant de l’île d’Yeu au Cap Ferret et de la côte au talus continental a été survolée à plusieurs reprises entre janvier et mars, afin d’évaluer les changements de distribution des dauphins communs au cours d’un hiver.  Cette campagne, financée par le projet DELMOGES se poursuit cet hiver 2024, avec une couverture aérienne la plus fréquente possible en fonction des conditions météorologiques.

Dans le même temps, comme en 2023, un drone acoustique mis en œuvre par Ifremer, a parcouru la même zone première quinzaine de février afin de détecter la présence de petits poissons pélagiques (comme les sardines ou les anchois), proies principales des dauphins communs. L’objectif de cette campagne est de comprendre le lien entre la distribution des dauphins et de leurs proies, et ainsi de tenter d’expliquer les changements de distribution des dauphins au cours d’un hiver.

A quoi s’attendre sur les plages durant cette période de fermeture de pêche ?

Pour différentes raisons, il est possible que certains animaux présentant des traces de capture continuent d’être retrouvés échoués. Ceci pourrait être observé au début de la période de fermeture, pour des dauphins morts avant la fermeture et qui n’arriveraient sur les plages que plusieurs jours ou plusieurs semaines plus tard. La prise en compte de l’état de décomposition des animaux renseignera alors les périodes de mortalité en mer.

Il est également possible, bien que le risque soit plus faible, que certains métiers autorisés à pêcher durant la période de fermeture capturent accidentellement des dauphins. Des captures peuvent ainsi être réalisées par les bateaux d’une taille inférieure à 8m, ou par des métiers pour lesquels le risque de capture est considéré plus faible, et qui poursuivront leur activité.

Enfin, des captures pourraient survenir en bordure de la zone de fermeture aux engins à risque, et venir s’échouer le long des côtes de la zone fermée sous l’effet de la dérive.

A l’échelle de l’hiver, il reste primordial de prendre en compte les conditions météorologiques avant de pouvoir conclure sur le niveau d’efficacité de cette mesure au regard des niveaux d’échouages. Des conditions d’échouages défavorables (vent d’Est repoussant les carcasses au large) ne permettent pas aux échouages de se produire. Dans ces conditions, une diminution des échouages ne signifie pas nécessairement une baisse des captures de dauphins. Si de nombreuses carcasses sont détectées à la dérive durant ces périodes, alors il pourra être possible de calculer les mortalités grâce aux survols CAPECET et ainsi fournir une estimation complémentaire. A l’inverse, de fortes mortalités proches des côtes avec de forts vent d’ouest pourraient occasionner de nombreux échouages.

Le suivi de la distribution des dauphins en mer permettra également de vérifier si la fermeture a eu lieu pendant le pic d’abondance des dauphins, et ainsi mieux interpréter sa potentielle efficacité.

Il convient donc d’être précautionneux dans l’interprétation des niveaux d’échouages qui seront recensés durant l’hiver 2024, afin d’éviter les conclusions hâtives qui ne prendraient pas en compte l’ensemble du processus.

Arbre d’interprétation des données d’échouages durant l’hiver.

Quelle efficacité de réduction des captures de ce mois de fermeture de pêche ?

Le risque de captures de dauphins n’est pas constant au cours de l’hiver, ce qui peut conduire à une concentration des mortalités sur quelques jours (phénomènes de pics aigus de mortalité). Ces phénomènes sont certainement associés à une conjonction de circonstances particulières agissant sur la distribution et le comportement des dauphins et de leurs proies. Les plus fortes mortalités sont généralement observées entre mi-janvier et début mars mais des fortes mortalités ont déjà pu être observées plus tôt ou plus tard dans l’hiver dans le passé.

Ainsi, l’efficacité de cette fermeture va largement dépendre de sa simultanéité avec la période de capture la plus intense :

  • Si, durant la période de fermeture, le risque de capture est maximal avec notamment des fortes densités de dauphins et de leurs proies à proximité du fond sur les zones de pêche, alors on peut s’attendre à une efficacité importante de cette mesure et un faible niveau de captures pendant l’hiver 2024.
  • A l’opposé, si le risque de captures est faible durant la période de fermeture et très élevé au-delà du 20 février, alors l’efficacité de cette fermeture ne sera pas visible à travers les échouages et probablement faible.

Toutes les situations intermédiaires sont possibles, amenant une efficacité plus ou moins importante.

Il est impossible de prédire le niveau exact de mortalité sur l’ensemble de l’hiver qui aurait été observé en l’absence de fermeture. La mesure de l’efficacité se fera en comparant la mortalité totale durant l’hiver 2024 par rapport aux mortalités de ces dernières années.

Echouages pendant la période de fermeture de pêche : premiers constats

Après un mois de fermeture, il est encore tôt pour tirer un bilan définitif des échouages pendant la période. Mais l’important n’est pas tant le nombre d’échouages que la proportion des animaux avec des traces de captures accidentelles. Plus d’une centaine de petits cétacés ont été signalés échoués pendant le mois écoulé, dont au moins 1/3 tiers seraient morts avant la fermeture. De même, bien que des conditions de dérive aient été propices aux échouages pendant cette période, il n’a pas été observé de pic aigu d’échouages. Pic que l’on observe régulièrement en hiver suite à des coups de vent d’ouest.

Des traces de capture dans les engins de pêche n’ont pour le moment été confirmées pour deux individus sur les animaux examinés entre Loire et Gironde. Habituellement durant la période hivernale, la proportion de dauphins présentant des signes de captures accidentelles est plutôt de l’ordre de 60-80%. Le nombre de dauphins capturés aurait donc nettement diminué sur cette période.

Au cours des survols d’observation du golfe de Gascogne (CAPECET) en hiver, depuis quelques années on observe régulièrement des carcasses de dauphins à la dérive. Au cours des derniers vols de la semaine dernière aucune n’a été observée, bien que 800 km aient été parcourus en observation dans la zone à risque.

Néanmoins, le mois à venir est crucial, seule l’évaluation totale des mortalités sur l’ensemble de l’hiver nous permettra d’évaluer l’efficacité de la mesure.

Les chiffres d’échouages en hiver sont accessibles sur le site du Secrétariat d’Etat chargé de la Mer (voir les bulletins des saisons hivernales).

Mise en perspective avec les données d’échouage passées

Afin d’évaluer le potentiel de cette fermeture des engins à risque dans le golfe de Gascogne à la réduction des captures, son efficacité théorique a été testée rétroactivement durant les années 2016 à 2021. Cet exercice méthodologique vise à évaluer a posteriori combien de captures de dauphins communs auraient été évitées si la fermeture avait été en place, mais également quels auraient été les mortalités et les échouages résiduels à cette fermeture durant le reste de l’année. Cette approche repose sur deux hypothèses fortes :

  • La fermeture des activités de pêche des flottilles concernées entraîne l’absence de toutes les captures de dauphins communs durant cette période, même s’il est évident que ce n’est pas le cas, notamment parce que les navires de moins de 8 m qui pratiquent beaucoup les métiers du filet ne sont pas concernés par la mesure actuelle ;
  • La distribution spatio-temporelle de l’effort de pêche ne serait pas modifié.

Ces deux conditions n’étant en réalité pas remplies, le nombre d’échouage évité est maximisé.

La réduction des échouages liée à la fermeture est rapportée aux échouages totaux de dauphins communs, quelles que soient leurs causes de mortalité. L’interdiction des engins les plus à risque n’a en effet aucun impact sur les mortalités autres que la capture, il convient donc de conserver ces échouages non liés à la pêche dans les effectifs totaux. Les mortalités par capture sont issues de la méthode par dérive inverse, qui intègre les conditions météorologiques entraînant ou non l’échouage, la proportion de dauphins qui coulent ou les probabilités d’échouage à la côte.

Réduction théorique des échouages (toutes causes confondues) et des mortalités par capture durant la fermeture des engins à risque estimée rétroactivement pendant les années 2016 à 2021 sur les côtes françaises du golfe de Gascogne.

Le principal résultat de cette approche indique que si cette fermeture aurait permis par le passé de réduire le nombre de captures de dauphins communs, son efficacité aurait été très variable en fonction des années (tableau 1). Pour les années 2016 à 2021, la réduction des mortalités varie au mieux entre 22,6 et 53,7% des captures de l’année. L’efficacité de cette fermeture aurait largement dépendu de la simultanéité de l’arrêt des métiers à risque avec la période de capture la plus intense (Fig.2). Durant l’hiver 2016, les captures ont principalement été estimées durant la première quinzaine de février. Une fermeture des engins à risque durant cette période aurait généré une réduction importante des mortalités (53,7%). En revanche en 2021, année pendant laquelle les captures sont majoritairement survenues durant les deux premières semaines de janvier, une fermeture des engins à risque selon le calendrier 2024-2026 n’aurait montré une efficacité nettement plus limitée (22,6%).

La réduction des échouages aurait quant à elle été plus faible, variant entre 14,1 et 31,1% des échouages observés. Bien que la mortalité par capture soit majoritaire dans les échouages de dauphins communs, d’autres causes de mortalité réduisent quelque peu la proportion d’échouages qui aurait été évitée durant la période de fermeture.      

Mortalités par capture durant deux années aux profils différents (2016 et 2021), et la période de fermeture théorique (20/01 au 22/02) représentée dans le rectangle rouge.