La Rochelle, France
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Un Bélouga loin de son habitat

mise à jour du 01/09/2022

Le 2 août dernier, un bélouga est signalé et identifié formellement sur une vidéo prise à 170 km en amont de l’embouchure de la Seine. Cet animal a réussi à passer une écluse(à Poses) et a ensuite continué sa progression dans les boucles de la Seine en amont. La Préfecture de l’Eure a coordonné la gestion de ce cas inhabituel.


Quelles étaient les chances de survie de cet animal ? (5 août)
Suite aux premières observations, l’état d’amaigrissement marqué du bélouga et les conditions environnementales dans lesquelles il évoluait lui étaient peu favorables, notamment du fait des températures chaudes et de l’eau douce. En dehors de sa localisation erratique hors de son habitat naturel, l’animal présentait un comportement conforme à celui de son espèce (déplacements et phases de plongée), et paraissait plutôt actif. Toutefois, en l’absence d’éléments complémentaires, le pronostic sur la survie de l’animal restait réservé. Il semblait également essentiel d’évaluer les risques et de maximiser les chances de réussite de toute intervention qui pouvait être envisagée. A ce stade, la mise en œuvre d’opérations lourdes telles que la capture pour un déplacement vers la pleine mer représentait un risque majeur pour la survie et le bien-être de l’animal et ne nous apparaissait pas appropriée.

Décisions prises par les autorités et actions menées ? (6-10 août)
Dans la soirée du 5 août, après plusieurs tentatives de guidage en aval de la Seine ayant échoué, l’animal a tenté de passer une seconde écluse (Notre-Dame-de-la-Garenne), située à environ 200 km de l’embouchure et 170 km de Paris. Les autorités ont décidé de mettre fin à sa progression en isolant l’animal dans un des bassins de cette écluse. Après de nombreuses réunions de « crise », des tentatives de soins et de nourrissage, les autorités ont finalement privilégié la capture et le transport vers un bassin d‘eau de mer afin d’établir un examen de santé avant un retour hypothétique vers la mer. Son état très critique au cours du transport a finalement conduit l’équipe vétérinaire à l’euthanasier.

Capture et examen du bélouga le 10 août


Autopsie du bélouga ? (10 août)
Le 10 août l’animal a été autopsié au laboratoire vétérinaire du pôle d’analyses LABEO de Caen. L’autopsie a été dirigée par l’Observatoire Pelagis. Il s’agissait d’un mâle adulte de 4m19. Les conclusions de l’autopsie seront disponibles au retour des résultats d’analyses qui sont en cours. Néanmoins on peut d’ores et déjà indiquer que l’animal était porteur de pathologies probablement à l’origine de son errance et que son état d’amaigrissement suggère que l’animal était en mauvaise santé bien avant son entrée en Seine.

D’où vient ce bélouga ?
Le bélouga a une distribution arctique et subarctique et la génétique permettra de déterminer son origine. Bien que la population la plus connue se trouve dans l’estuaire du Saint-Laurent (Québec), la plus proche de nos côtes se trouve aux Svalbard, archipel situé au nord de la Norvège (à 3 000 km de la Seine). Il s’agit donc d’une espèce vivant dans les eaux froides et polaires, où elle s’y nourrit de poissons (hareng, morue, saumon, etc.). Le bélouga vit habituellement en groupe et est capable d’évoluer dans des eaux plus douces et peu profondes.

Pourquoi un bélouga dans la Seine ?
Dans le monde, de nombreuses espèces de mammifères marins ont déjà été signalées dans des zones où ils ne sont pas habituellement présents et où ils se retrouvent en contact étroit avec les activités humaines. On parle alors d’animaux « hors de leur habitat », c’est à dire observé en dehors de ce qui est normalement considéré comme leur habitat habituel. En France ce n’est pas non plus un phénomène exceptionnel, près d’une centaine de cas a déjà été répertoriée depuis 40 ans et notamment plusieurs espèces polaires comme le morse, le phoque de Groenland, le phoque à crête, le phoque barbu ou encore la baleine franche du Groenland (Figure 1). Un narval (même famille que le béluga) a également été retrouvé mort près d’une écluse dans l’Escaut en Belgique en 2016.

Figure 1 : Nombre de mammifères marins errants (espèces polaires et tropicales) signalées sur les côtes françaises entre 1981 et 2020 (n=95, cétacés : 30% et pinnipèdes : 70 %).

Ce bélouga n’est pas non plus un cas isolé, une soixantaine de cas est répertoriée dans le monde dont une quinzaine en Europe depuis les années 1980 (principalement dans les Iles Britannique et en Scandinavie). En France, en 1948 un pêcheur de l’estuaire de la Loire en avait remonté un dans ses filets. En 1966, un autre individu avait remonté le Rhin jusqu’en Allemagne et avait ensuite été perdu de vue lors de son retour vers la mer du Nord. Plus récemment en 2018, un béluga était resté 3 mois dans l’estuaire de la Tamise en Angleterre avant de disparaitre également.
Ces cas d’errance restent souvent inexpliqués, des raisons multiples peuvent être à l’origine comme l’état de santé, l’âge (les subadultes se dispersent plus facilement), l’isolement social, les conditions environnementales, etc. Dans la nature les animaux malades peuvent aussi s’éloigner ou s’isoler de leurs congénères. De plus, les cétacés comme les pinnipèdes sont des espèces marines particulièrement mobiles et capables de se déplacer sur de grandes distances dans un milieu sans « obstacle ».

Une orque, un rorqual et un bélouga dans la Seine en 3 mois…
Il n’y a aucune hypothèse pour le moment concernant la présence de ces cétacés dans la Seine depuis 3 mois. Par le passé, il y a eu d’autres observations, souvent des espèces plus communes sur nos côtes et à des époques où la pression des médias et des réseaux sociaux était moindre. On citera d’autres espèces polaires comme un phoque du Groenland à Rouen en 1987 ou un phoque barbu en 2006 qui avait également séjourné dans la Seine pendant 3 mois jusqu’à remonter dans le Val d’Oise. Il y a également eu des échouages au niveau de l’embouchure de la Seine, comme un rorqual boréal et un hyperoodon boréal dans les années 80.

Cétacés vivants en difficulté
En France, les cétacés (toutes espèces confondues) échoués vivants ou se trouvant dans une situation où leur survie est compromise sans l’intervention humaine représentent environ 4 % des échouages (554 cas sur 13 350 échouages de cétacés recensés entre 2010 et 2020), les 96 % restant correspondent à des échouages d’animaux morts en mer. Dans la plupart des cas il s’agit d’espèces communes sur nos côtes. Pour aider les autorités à gérer ces situations, un guide et des conduites à tenir sont disponibles ici. Néanmoins, les réponses ne peuvent pas être  » réflexes « , mais basées sur une évaluation experte du cas afin d’adapter le type d’intervention : taille et état de l’animal, moyens matériel et humain disponibles, conditions environnementales, etc. Dans la plupart des cas, des services de secours coordonnés et accompagnés par les correspondants du RNE sont mobilisés pour intervenir (Figure 2).

Figure 2 : Devenir des cétacés échoués vivants sur les côtes françaises entre 2010 et 2020 (en %, n=554)